Merveille y sera |
Amicale des Anciens Élèves de MarseilleVeyre MARSEILLEVEYRE ENTRE MÉMOIRE ET HISTOIRE |
1945 |
Bernard GENET, ancien élève
A
un trimestre près, j’ai effectué toutes mes études secondaires au
Lycée MarseilleVeyre et j’ai gardé de ces 7 années un souvenir
radieux. Je l’ai quitté l’été 1957, bac en poche après avoir
beaucoup entendu dire que ce lycée, au demeurant agréable, avait des résultats
médiocres au bac et qu’il valait mieux le quitter avant la fin de la
scolarité.
Au
moment du cinquantenaire de la fondation du Lycée plusieurs témoins,
anciens élèves, anciens professeurs, anciens parents, ont
souligné le caractère unique de l’établissement et ces témoignages
m’ont donné l’envie de vérifier si d’autres que moi avaient des
souvenirs de la même qualité et de la même intensité. Ce
questionnaire comportait aussi une dimension sociale en ce sens que
l’inscription à MarseilleVeyre était un choix des parents qui n’était
pas dicté par la sectorisation alors inexistante mais par une volonté
de participer à l’expérience des classes nouvelles au sein d’un
des très rares lycées-pilotes (3
ou 4 à ma connaissance) de France fonctionnant totalement sur ce mode. Derrière ces interrogations se dessinait en filigrane la démarche d’intégrer ces souvenirs, les miens et ceux que je recueillais, à l’Histoire avec un grand H et que la luminosité du souvenir ne venait pas uniquement de ce cadre naturel, par ailleurs enchanteur. En effet, plus j’avançais dans ma réflexion, plus l’évidence que ce que nous avions vécu si intensément au point d’en rester porteurs pendant toute notre vie était un moment particulier d’une histoire plus générale dont, plus que d’autres, nous avons porté la marque. |
D’où
venaient donc ces classes nouvelles et ce lycée-pilote. D’un
côté, le courant de l’éducation nouvelle, né dans l’entre-deux-guerres, dont le grand théoricien reste le psychologue Jean Piaget et
qui avait déjà donné lieu à diverses expérimentations auxquelles
sont attachés les noms de Freinet, de Montessori, de Decroly. De
l’autre côté, le plan Langevin-Wallon. Issu des travaux du Conseil
national de la résistance, ce plan était la référence du travail
gouvernemental en matière d’éducation. |
Le projet de Marseilleveyre reposait donc sur un socle solide et s’inscrivait dans un moment historique très précis : la reconstruction du pays et la volonté de mobiliser pour y parvenir tous les talents, toutes les capacités. En somme, un projet social global assurant en même temps l’épanouissement de chacun, quel que fût son origine sociale. La motivation des enseignants comme celle des parents s’explique donc largement par cet esprit du temps qui portait la société France vers un nouveau développement. Il n’est donc pas étonnant que le projet MarseilleVeyre ait été soutenu dès l’origine par une association de parents et d’éducateurs probablement unique en son genre à l’époque. C’était reconnaître que l’éducation est un tout et que la coopération des parents et des éducateurs était le moteur du projet. La légende voulait qu’il n’y eût à l’époque à MarseilleVeyre que des communistes et des protestants. Mes parents, et ils n’étaient pas les seuls, n’étaient ni l’un ni l’autre mais ils s’inscrivaient dans cette démarche de transformation des structures sociales du pays Mais
Gustave Monod fut démis de ses fonctions en 1951 et les classes
nouvelles périclitèrent. Cette
réflexion sur mon éducation à Marseilleveyre m’a conduit à une
conclusion qui ne manque pas d’actualité à savoir qu’un projet éducatif
n’a de sens qu’inscrit dans un projet social plus global. Pour moi, j’ai gardé de mon passage au lycée une volonté modeste et constante de ne jamais rien faire dans ma vie qui accroisse la misère du monde, mais quand l’avenir consiste à gagner des parts de marché, quand la conscience est toujours en retard sur une science exubérante et de plus en plus dangereuse pour l’humanité elle-même, l’absence de projet social collectif se fait cruellement sentir et les meilleurs pédagogues du monde ne peuvent à eux seuls donner du sens à une société qui n’en a plus. BERNARD
GENET
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