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Réponse écrite à un élève de sixième se posant la question :

 Pourquoi a-t-on inventé les décimaux ? 

 Pour commencer 2 petits problèmes :
1-     
Je te donne une unité de longueur u et un segment de longueur l , et je te demande de mesurer ce segment à l'aide de u 

 2- Sur une demi-droite [Ox) graduée régulièrement à l'aide des nombres entiers 1 , 2 , 3 ….,je place au hasard un point entre les graduations 4 et 5 . Quel est le nombre qui permet de repérer ce  point ? 

Réponses :
1-
tu vas reporter u plusieurs fois dans l ; tu vas trouver 3u< l < 4u ou l = 3u + r;
il s'agit de déterminer r ; pour cela , tu vas partager u en 2 ( par pliage ) puis en 4 etc. Tu vas trouver l = 3u +  +r' = 3u +0,5u +0,125u +r' =3,625 u + r'

Le "petit bout" de longueur r' étant vraiment petit , tu pourras le négliger; tu n'auras pas la valeur exacte de l , mais tu l'auras approchée par le nombre décimal 3,625u .
2-     
tu vas subdiviser l'intervalle [4 , 5] en 10 parties égales ; ainsi tu vas approcher l'abscisse de ce point par les décimaux 4,6 et 4,7 ; puis tu vas à nouveau subdiviser l'intervalle [4,6 ; 4,7] en 10 parties égales … Et ainsi de suite ; tu pourras ainsi approcher aussi  "finement " que tu veux le nombre à lire . 

Maintenant quelques repères historiques ... 

Dès que les hommes ont eu l'usage du nombre entier,  ils ont inventé , pour les besoins du commerce ou pour des pratiques sociales de partages de biens  ,des parties de l'unité : demi , quart , tiers , septième … qui furent les premières fractions utilisées .
Les connaissances actuelles permettent de penser qu'un temps important sépare l'écriture des entiers de celle des fractions dans la plupart des civilisations.
Jusqu'au 16e siècle un nombre décimal s'écrivait comme la somme d'un nombre entier et d'une somme de fractions (ou rompus) inférieure à 1 . : 7,65 s'écrivait : 7 + 2/5 +1/4 
Les calculs devenaient très vite compliqués ; supposons par exemple que tu veuilles repeindre les murs de ta chambre ; tes parents te demandent de mesurer les pans de mur pour savoir la quantité de peinture à acheter. Ta chambre est carrée ; tu mesures 3, 35 m de côté et 2,7 m de hauteur ; la superficie à peindre est donc : 3,35 x 2,7 x 4 , soit 36,18 m² . (facile, avec l’écriture décimale !).
Voici les calculs que tu aurais du faire : ( 3 + 1/4 + 1/ 10 )x ( 2 + 1/2 + 1/5 ) x 4 =
24 + 2 +6 + 8/10 + 1/2 + 1/5 + 12/5 + 1/5 + 4/50 = 32 + 1/2 + 18/5 + 2/25
Les fractions supérieures à 1 ( 18/5 ) doivent être écrites sous forme  de la somme d'un nombre entier et de rompus ; 2/25 doit être écrit sous forme d'une somme de quantièmes ( fractions de  numérateur  1 ) !Ce travail s'avère souvent fastidieux .
C'est, sans doute , pour cette raison que l'on trouve ,des tables de conversion de fractions communes en fractions unitaires ( de numérateurs 1)dans : " Liber Abaci " ( le livre de l'abaque ) de Fibonacci  (ou Léonard de Pise )  entre 1180 et 1250 , ( Fibonacci utilisait 3 sortes de fractions : les fractions communes : 7 /9, sexagésimales : 5 / 60n , unitaires :1 / 37 ) . 

Les Égyptiens utilisaient essentiellement les fractions de numérateurs 1 (hormis 2/3 ) . Nos connaissances à ce propos proviennent de documents datés entre -1800 et - 1300 , le principal étant " le papyrus de Rhind " (écrit par le scribe Ahmes vers - 1650).
En fait pour le scribe une fraction comme 3/ 7 ne s'écrit pas, car elle n'a pas valeur de résultat; c'est une division à faire, un partage à effectuer, par exemple 3 pains à partager entre 7 soldats… Il s'agit pour lui de déterminer quels " quantièmes de pain " chacun devra recevoir!
La restriction des fractions aux quantièmes permet de faire des raisonnements similaires à ceux utilisés sur les naturels ; de plus les quantièmes se prêtent mieux aux partages proportionnels auxquels se livrent constamment le scribe (ainsi qu'aux échanges , dans une société sans monnaie).
Par exemple  3/7 = 1/3 + 1/11 + 1/231 pour 0,9 ils écrivaient : 2/3 + 1/5 +1/30 ; de même ils écrivaient 19/8 (2,375 ) sous la forme : 2 + 1/4 + 1/8 .
Le scribe traitait les calculs de quantièmes par consultation de tables ( le papyrus de Rhind possède de telles tables ).
(Aujourd’hui ,notre habitude de l’écriture décimale est telle, qu’ il nous est difficile d’envisager que le moindre calcul nécessitait la maîtrise de l’usage de ces tables , sans lesquelles il était impossible de les réaliser dans un temps raisonnable). 

Les Babyloniens utilisaient les fractions sexagésimales  (les dénominateurs sont des puissances de 60, c’est-à-dire, 60, 60×60=3600, etc.) en astronomie notamment. 

L'utilisation de ces fractions s'améliora et se transmit à de nombreuses sociétés, en particulier aux Grecs et aux Arabes.
C'est dans la première moitié du Xe siècle que le mathématicien arabe Al-Uqlidisi utilise pour la première fois, les fractions décimales ; il faudra attendre 5 siècles pour que Al-Kashi   ( mort en 1429 ) dans " La clé de l'arithmétique " donne une description des décimaux . L'idée vraiment originale d' Al- Kashi , est de pouvoir ramener les opérations sur les fractions à des opérations sur des entiers  :
Ainsi on trouve : 3/8 =  3/10 + 7/100 + 5/1000 ; pour noter un nombre tel que : 342 + 3/8 , il écrivait   342 I 375 . 

En Occident quelques mathématiciens introduisent les décimaux dans leurs calculs : Bonfils (XIVe siècle ) et 2 siècles plus tard Viète ( 1540-1603 ) dans  son " Canonem Matématicum "( 1579) apparaît alors un emploi systématique des nombres décimaux , utilisant quelques fois la virgule et un trait vertical pour séparer partie entière et partie décimale . Viète désire promouvoir l'usage des nombres décimaux lorsqu'il écrit que les fractions sexagésimales devraient être utilisées de façon sporadique ou simplement éliminées des mathématiques .Malgré ses suggestions l'usage des fractions décimales ne sera facilité et répandu que grâce à Stevin ( 1585 ) dans son ouvrage " La Disme "  : " enseignant facilement expédier par nombres entiers sans rompuz , tous comptes se rencontrans aux affaires des hommes ".
Les façons de faire décrites dans la Disme sont relativement simples ; elles prolongent celles connues sur les entiers...

Stevin a ainsi mis en évidence le rôle simplificateur que peuvent jouer les décimaux . Il destinait son ouvrage: "aux astrologues , arpenteurs , mesureurs de tapisserie , gavieurs , stéréométriciens en général , maistres de monnaie et à tous les marchands"
Pour l'exemple précédent , Stevin écrirait : 3(0)3(1)5(2)  x 2(0)7(1)
Il poserait : 3 3 5    

                      2  7
            
____________
                  
2 3 4 5  

                   6 7 0
            
____________
                  
9  0 4 5               

                  (0)( 1)( 2)( 3)  

Il restait cependant à améliorer sa notation maladroite ; celle-ci sera remplacée par notre notation moderne , grâce aux travaux de John Napier ( 1550-1617 ) co-inventeur des logarithmes. 

Il faut ajouter que les nombres décimaux permettent de résoudre un grand nombre de problèmes, en particulier sur les mesures, qui n'avaient pas de solution avec les nombres entiers. Dans le cas où il n'y a pas de solution exacte on peut trouver des solutions approchées avec la précision souhaitée.
La facilité de calculs sur les nombres décimaux a été à l'origine de la création d'un système d'unités de mesures approprié : le système métrique devenu décimal après la Révolution Française, et définitivement adopté en 1801.
 

 

Quelques précisions ...

Rompus : fractions inférieures à 1 ; son numérateur est inférieur à son dénominateur : 5 / 7 ; 3 / 11
Quantièmes ( ou factions unitaires
) : fractions dont le numérateur est 1 : 1/7 ; 1/34
Fractions sexagésimales : fractions dont le dénominateur est une puissance de 60 : 13 / 60 ; 11/3600
Fractions communes : fractions avec numérateur et dénominateur entiers quelconques : 7/8. 43/17

Exemples de transformation de fractions en quantièmes :
2/25 = 1/13 + 1/325
6/7 = 1/2 + 1/3 + 1/42