Longtemps avant vous, d’autres étudiants, et non
des moindres, se sont posé la même question. Voici un texte de
Stendhal, célèbre écrivain du dix-neuvième siècle sur ce sujet :
Stendhal
et la règle des signes
L'auteur
de La Chartreuse de Parme (1839), Le Rouge et le Noir (1830)
était "enthousiasmé" par les mathématiques. Cependant comme
beaucoup d'entre vous, il avait parfois quelques difficultés de compréhension.
Voici un passage de la Vie de Henry Brulard, l'un de ses romans
autobiographique, où il nous raconte ses démêlés avec la "règle
des signes"...
Mon
enthousiasme pour les mathématiques avait peut-être eu pour base
principale mon horreur pour l'hypocrisie, l'hypocrisie à mes yeux c'était
ma tante Séraphie, Mme Vignon, et leurs prêtres.
Suivant moi l'hypocrisie était impossible en mathématiques et, dans ma
simplicité juvénile, je pensais qu'il en était ainsi dans toutes les
sciences où j'avais ouï dire qu'elles s'appliquaient. Que devins-je
quand je m'aperçus que personne ne pouvait m'expliquer comment il se
faisait que: moins par moins donne plus (- X - = +)?
(C'est une des bases fondamentales de la science qu'on appelle algèbre).
On faisait bien pis que ne pas m’expliquer cette
difficulté (qui sans doute est explicable car elle conduit à la vérité),
on me l’expliquait par des raisons évidemment peu claires pour ceux
qui me les présentaient.
M. Chabert pressé par moi s'embarrassait, répétait sa leçon, celle précisément
contre laquelle je faisais des objections, et finissait par avoir l'air
de me dire:
« Mais c'est l'usage, tout le monde admet cette explication. Euler et
Lagrange, qui apparemment valaient autant que vous, l'ont bien
admise...".
Je me rappelle distinctement que, quand je parlais de ma difficulté de
moins par moins à un fort, il me riait au nez; tous étaient plus ou
moins comme Paul-Émile Teysseyre et apprenait par cœur. Je leur voyais
dire souvent au tableau à la fin des démonstrations:
« Il est donc évident ",
etc.
Rien n'est moins évident pour vous, pensais-je. Mais il s'agissait de
choses évidentes pour moi, et desquelles malgré la meilleure volonté
il était impossible de douter.
Les mathématiques ne considéraient qu'un petit coin des objets (leur
quantité), mais sur ce point elles ont l'agrément de ne dire que des
choses sûres, que la vérité, et presque toute la vérité.
Je me figurais à quatorze ans, en 1797, que les hautes mathématiques,
celles que je n'ai jamais sues, comprenaient tous ou a peu près tous
les côtés des objets, qu'ainsi, en avançant, je parviendrais à
savoir des choses sûres, indubitables, et que je pourrais me prouver à
volonté, sur toutes choses.
Je fus longtemps à me convaincre que mon objection sur - X - = + ne
pourrait pas absolument entrer dans la tête de M. Chabert, que M. Dupuy
n'y répondrait jamais que par un sourire de hauteur, et que les forts
auxquels je faisais des questions se moqueraient toujours de moi.
J'en fus réduit à ce que je me dis encore aujourd'hui: il faut bien
que - par - donne + soit vrai, puisque évidemment, en employant à
chaque instant cette règle dans le calcul, on arrive à des résultats
vrais et
indubitables.
Mais nous ne sommes plus au dix-neuvième siècle
et, si les questions restent, les « Monsieur Chabert »
d’aujourd’hui pourraient tenir une boutique des maths et tenter
d’assouvir la juste soif de compréhension de leur élève.
Nous allons nous y essayer.
Tout d’abord, il faut entendre que cette question
fait référence à la règle de calcul du produit
de deux nombres relatifs.
Pour comprendre cette règle, il faut envisager les nombres relatifs comme une extension des nombres décimaux
ou des entiers naturels.
De la même manière que, lorsqu’on rencontre pour la première
fois un nombre décimal, après avoir longtemps fréquenté uniquement
les nombres entiers, il faut que toutes les règles concernant les
entiers restent valables si on considère qu’un entier est un décimal
particulier : il faut pouvoir désormais effectuer des opérations
comportant aussi bien des entiers que des décimaux à virgule. Par
exemple on sait calculer 7+16 = 23 ; 5,1+ 8,9 = 14, ainsi que 46,2
+ 12 = 58,2 . Cela ne nous pose aucun problème et pourtant, dans ces
exemples, les entiers et les décimaux sont mêlés.
Ainsi, donc, de la même manière, on considère qu’un décimal
ordinaire est un nombre relatif positif et que toutes les règles
applicables aux décimaux doivent rester vraies.
Une règle importante sur les nombres décimaux est celle qu’on
appelle la distributivité de l’addition (ou de la soustraction) sur
la multiplication : elle s’énonce ainsi :
Si a, b, et c sont des nombres décimaux,
a × ( b + c ) = a ×b + a × c
et
a × ( b – c ) = a × b – a × c
Dans la suite, j’utiliserai souvent la notation opp(a)
pour le nombre opposé au
nombre a, afin de différencier le signe - d’opération du
signe - du nombre (ce qu’on ne fait pas en général pour
mener un calcul car cette notation n’est pas pratique à utiliser).
Travaillons sur des exemples (pour ce faire, je vous recommande de vous
munir de papier et crayon, et de traiter l’exemple en même temps, ou
bien de choisir dès le départ d’autres nombres – pourquoi pas 12,
7 et 3 à la place de 5, 11 et 2 - et de traiter votre propre exemple en
parallèle) :
Notre premier objectif est de faire apparaître un produit d’un nombre
positif par un nombre négatif.
45 = 5 × 9 = 5 × ( 11 –
2 ) = 5 × 11 – 5 × 2 = 55 - 10
Mais aussi, avec les nombres relatifs :
45 = 5 × 9 = 5 × ( 11 + opp(2) ), donc, d’après les calculs avec
les décimaux ordinaires,
5 × ( 11 + opp(2) ) = 5 × 11 – 5 × 2
Et si on « étend » la règle de distributivité
aux nombres relatifs, on obtient :
5 × 11 + 5 × opp(2) = 5 × 11
- 5 × 2
(Nous tenons notre produit d’un positif par un négatif !)
Et, en écrivant ce résultat avec les nombres relatifs, cela donne
5 × 11 - 5 × 2 =
5
× 11 + opp( 5 × 2 )
Et donc :
5 × 11 + 5 × opp(2 ) = 5 × 11 + opp( 5 × 2 )
Ou 55 + 5 × opp (2) =
55 + opp ( 5 × 2 )
Il en découle que :
5 × opp (2) = opp( 5 × 2 )
Ce qui donnerait avec les signes :
5 × ( -2) = - 5 × 2
Vous pouvez imaginer que, ce qui est écrit avec les valeurs 5, 11 et 2,
peut être écrit avec n’importe quelles autres valeurs. Essayez !
Cet exemple illustre comment on obtient la règle du produit d’un
nombre positif par un nombre négatif, cette règle qui est souvent
(dangereusement) énoncée : « plus
par moins ça fait moins », et que nous allons utiliser dans
la suite (règle n°1).
Donc, recommençons le même type de calcul, mais cette fois-ci avec la
règle supplémentaire que nous venons d’énoncer et de manière à
faire apparaître un produit de deux négatifs.
Nous savons désormais calculer
(-5) × 9 = opp(5) × 9 = opp( 5 × 9) = opp(45) = -45
De nouveau, nous jouerons sur les deux écritures 9
= 11 – 2 ou
9 = 11 + opp(2),.
On a , en écrivant 11 = 9 - 2
-45 = opp(5) × (11 – 2 ) = opp(5) × 11 - opp(5) ×
2
et, d’après la règle n°1 := opp( 5×
11) – opp (5 × 2)
En transformant la soustraction en addition, comme on l’a appris pour
les nombres relatifs :
= opp (5 ×
11 ) + opp (opp (5 × 2 ) )
On sait que l’opposé de l’opposé d’un nombre est le nombre lui-même,
cela donne donc :
= opp(
5 × 11) + 5 × 2
Et aussi, en écrivant 9 = 11 + opp(2)
-45 = opp(5) × ( 11 + opp(2) ) = opp(5) × 11 + opp(5)
× opp(2) (nous
tenons ici un produit de deux nombres négatifs)
Et, en appliquant de nouveau la règle n°1 :
= opp(
5 × 11) + opp(5) × opp(2)
Ainsi, en rapprochant les deux écritures, comme
nous l’avons fait dans la première partie, on obtient :
opp( 5 × 11) + opp(5) × opp(2)
= opp( 5 × 11) + 5 × 2
On conclut que :
Opp(5) × opp(2) = 5 × 2
Ou, si on l’écrit avec des signes : (-5) × (-2) = 5 × 2
Comme précédemment, ce qui est écrit avec ces valeurs particulières
pourrait l’être avec n’importe quelles autres valeurs, (essayez !)
, et c’est la règle du produit de deus nombres négatifs, qui s’énonce
de manière si mystérieuse « moins
par moins, ça fait plus ».
J’espère que ces illustrations ont satisfait votre curiosité, sinon (re)venez à la
boutique, on vous aidera .
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