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Le taureau (clic) impassible, dans un mouvement enveloppant, possessif et comme protecteur, mais indifférent, encadre le groupe de la mère hurlant de douleur, son enfant mort dans les bras. Le corps vigoureux du taureau en grisé, les poteaux noirs des pattes comme étrangers à la tête et au poitrail dans la lumière, la queue flottant en bannière victorieuse, signent une force brute et dominatrice. Il est le triomphateur. Voyeur à l'œil glacé et se repaissant de la scène, le taureau regarde le cheval agonisant, le soldat gisant à terre. Pour Picasso, il est aussi concerné par la barbarie destructrice de la guerre et, en un sens, il en est une autre victime. Cette dualité est suggérée par l'opposition ombre/lumière de l'image du taureau. Les lames acérées du croc de la gueule, des oreilles, suggèrent la violence de l'affrontement. |
La mère défie au plus près la bête, tête tendue vers le ciel, d'où sont venues les bombes incendiaires. L'allongement et la tension du cou, la bouche et son fin dard, l'œil en forme de larme, expriment le paroxysme de la douleur et de la détresse. La tendresse de ses bras qui enveloppent la frêle victime, la grâce du petit corps inerte au visage angélique, aux pieds menus, en font un groupe de Pietà. |
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Tombé symboliquement entre les têtes du taureau et du cheval, sur une table, (ou sur l'autel du sacrifice ?) un oiseau, sobrement dessiné sur fond de grisaille, est blessé à mort par une arme triangulaire, énorme pour ce petit animal, arme éclairée par la lumière quasi céleste qui descend d'en haut. C'est la colombe biblique, le symbole séculaire de paix. Sa mort signifie les jours sombres de la guerre. Comme les autres victimes il exprime sa douleur, tête levée vers le ciel, bec ouvert. Diverses lignes de fuite et des raccourcis de perspectives dans le tableau Guernica perturbent les repères spatiaux : la scène se déroule à l'intérieur comme à l'extérieur. |
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Dans le panneau de droite une femme, transformée en torche vivante, implore encore un secours impossible, prisonnière dans sa maison, de l'incendie qui la dévore et l'engloutit. La claustration est suggérée par la petite fenêtre blanche inaccessible, blanchie par la lumière du jour ou de l'incendie, rendant toute fuite vaine; les flammes sont dehors et dedans. La poutre brisée indique l'effondrement du toit. Les flammes sont des pointes triangulaires de poignard, menaçantes. La tête révulsée vers le ciel nous montre, ici aussi, que l'apocalypse est venue du ciel avec les bombes incendiaires. La bouche hurle, mais édentée, elle signale un être privé de défense; les yeux sont dilatés par l'épouvante, les deux bras tendus et les mains aux doigts écartés cherchent désespérément une dernière prise pour échapper à la mort imminente... à laquelle nous assistons en direct. |
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Affrontement dans l'arène du taureau, du cheval et de l'homme pour une corrida ? Le thème est récurrent dans l'œuvre de Picasso. Mais ici le taureau n'est pas la bête harcelée, écumant de rage. S'il est le symbole de la force dominatrice de l'adversaire, c'est un regard glacé et lucide qu'il porte sur la scène du carnage. |
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Apparition surgie de l'extérieur, une femme, au visage et au regard bienveillants, fait irruption dans cette scène de carnage et de mort, tenant une lampe qui n'irradie aucune lumière dans son long sillage. Assume-t-elle une fonction de témoin du drame, d'aide, de réconfort, d'assistance divine ? Nul doute qu'elle ne soit la messagère d'espoir d'une victoire finale pour la suite du combat engagé. |
Dès la première ébauche de Guernica cette figure était présente. Elle assume donc un sens très fort dans la fresque de Picasso. La torche nous renvoie à la statue de la Liberté de Manhattan et à toute la tradition dans l'art des figures symboliques de femmes portant des lampes et incarnant l'avenir, la sagesse... |
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Chœur antique et funèbre de quatre femmes dans Guernica... Cette femme qui accourt, portait, dans une version précédente (clic), un enfant mort et pleurait. Elle est pathétique dans son élan de communion avec la souffrance du cheval. Le schématisme de cette figure est au service de l'émotion. La déformation monstrueuse du corps, des pieds répond en symétrie aux mains grandes ouvertes du guerrier. |
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Au sol gît le combattant mort, décapité, le bras sectionné crispé sur une épée brisée d'où surgit une fleur. Il forme, entre les sabots du cheval, le socle d'une partie du tableau. Les bras en croix évoquent un crucifié, mort pour avoir pris la défense de la liberté. L'enchevêtrement des membres du corps entre les sabots du cheval scelle leur union sacrée dans leur lutte commune. L'épée brisée rappelle l'héroïsme des chevaliers légendaires qui se battaient jusqu'à la mort. La dentition, ici dessinée avec précision, signe chez Picasso la force combattive. La décapitation, le bras tranché, démontrent l'horreur de la guerre, la violence dans les affrontements. Des formes triangulaires, des lignes, une flèche, un morceau de bois brisé, participent à une impression de mêlée confuse et structurent les surfaces. |
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Picasso avait d'abord représenté un soleil, puis cette lampe électrique... un oeil divin ? une couronne d'épines au-dessus de la tête du cheval qui symbolise le sacrifice du peuple ? La lame acérée dans sa gueule signale son courage au combat; mais une lance ennemie l'a atteint mortellement. Une large plaie béante en forme de losange veut communiquer au spectateur la souffrance vécue par l'animal. La contorsion impossible représentée par le peintre décuple l'impression de douleur indicible, d'épouvante de la fin imminente. La torche, ou plutôt la lampe à pétrole, tendue par un bras ami, est-ce l'espoir, fût-il faible, d'un soutien pour continuer la lutte ? |
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Frêle, comme l'oiseau blessé, la fleur qui surgit du poing (clic) encore vigoureusement serré du combattant sans vie, est un autre signal d'espoir comme la torche, qui se veut revigorante, brandie par la figure amie surgie de l'extérieur. Les sabots du cheval sont ici protecteurs. Ils marquent l'union étroite entre le peuple et ses combattants. |
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